lundi 26 mars 2012

TEAM ONE - PAGE 2 - David M.

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 11 à 16 écrits par David M. forme la page 2 de son texte.]

Heisenberg attendit. Embrassant du regard le château et le parc, il s'étonnait de la vétusté du lieu, qui semblait à l'abandon depuis plusieurs siècles. Seule la longue trace blanche d'un avion de ligne, au loin, empêchait de se croire revenu aux temps des princes et princesses. Il suivit du coin de l’œil la lente escalade du mur par un hanneton engourdi. Puis il sonna à nouveau. L'entière bâtisse dormait. Un poisson, d'un coup de reins vif, troubla la surface de l'eau. Heisenberg sonna une troisième fois. Une vois grésillante répondit enfin: "Qui est-ce?". Il prit sa plus belle voix de basson et lança: "Michael Heisenberg, pour Monsieur Sheep."
Un point rouge brilla au-dessus du porche de la bâtisse, dont la porte bailla, révélant de profondes ténèbres, et un vieil homme, affublé d'un uniforme de parachutiste anglais de la Seconde Guerre Mondiale, portant un plateau d'argent vide. La grille s'ouvrit enfin. Heisenberg, à grandes enjambées, longea le bassin et s'arrêta au seuil de la demeure. Derrière le majordome, une faible lumière dessinait un large escalier de marbre qui s'enfonçait dans le sol. "Monsieur Sheep vous attend. Il est très diminué, mais il va vous recevoir."
Heinseberg regarda à nouveau l’escalier qui descendait et dont les nombreuses marches disparaissaient dans les ténèbres. Derrière lui, un poisson troubla la surface de l’eau, le faisant sursauter. Il jeta un coup d’oeil au majordome, qui ne faisait pas mine de vouloir l’accompagner. Il soupira et coupa son portable avant de commencer la descente. Sur les parois de cette galerie se succédaient des portraits plus horribles les uns que les autres, montrant sans doute les ancêtres de Monsieur Sheep, tous liés par les mêmes traits remarquables, qu’Heiseberg nota en son for intérieur: yeux globuleux, dents pointues, cheveux rares. Il parvint à une porte ancienne qu’il tenta sans succès d’ouvrir. Il frappa et eut pour réponse un “Qui est-ce?”, prononcé par la voix qu’il avait déjà entendue.
Heinsenberg se força à sourire - que penserait de lui son client s'il découvrait que, sous son masque de sang-froid, il était glacé et terrifié par le noir et l'inconnu? La serrure grinça, la porte s'écarta, poussée par une main vieille, parcheminée, crochue. Heisenberg baissa les yeux et vit enfin le maître de maison, un homme petit, enveloppé dans une robe de chambre écarlate, trop grande pour lui, le visage triste, une lueur inquiétante au fond des yeux.
Derrière le vieillard, Heisenberg distingua une vieille table de billard français, recouverte de piles de livres. Sur le mur de gauche se trouvait une immense carte du monde, où des trajectoires étaient représentées par des fils rouges tendus entre des clous. Sur le mur de droite, des masques de théâtre japonais. Au centre de la pièce, le vestige d'une statue ancienne, dont il ne restait que le pied droit, haut de deux bons mètres. Monsieur Sheep attrapa Heisenberg par le coude et le tira à l'intérieur, puis regarda furtivement dehors, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas été suivi. Rassuré, il claqua la porte et la ferma de deux tours de clef. Il indiqua au gendarmer retraité un fauteuil, enfoui sous des livres et des magazines, que, d'un pas vif, il s'empressa de déplacer pour faire place nette à son invité. Heisenberg s'assit.
Monsieur Sheep marcha lentement, de long en large. Il avait à la main un bracelet de billes de bois qu’il entrechoquait avec nervosité. Il marmonnait, grommelait, puis soupirait. Enfin, il se tourna vers Heisenberg et dit: “Je vis reclus, drapé dans une tristesse infinie, mais me croiriez-vous si je vous disais qu’il y a encore quelques années, j’étais la figure même du courage?”.



(à suivre)

David M.