lundi 26 mars 2012

TEAM ONE - Episode 15

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l'histoire n°1) "Il la connaissait bien, cette brave dame, et même, de temps en temps, lorsque son fils, un mauvais gars, sortait le soir en la laissant seule, Salomon lui tenait compagnie. Ils jouaient au trictrac, aux dés, et se racontaient des histoires, se rêvant dans des pays lointains. Mais cette fois Mme Cohen ne cherchait pas à s’évader dans des pays magiques. Elle avait les pieds bien sur terre, et l’expression de son visage, loin d’être enjouée à la perspective d’une soirée entre amis, était morne et triste. Elle ouvrit la porte de chez elle, et fit entrer Salomon, dont le regard se porta instinctivement sur le chandelier à sept branches qui ornait la cheminée où crépitait un feu agonisant. " (Alice Bé).



(Suite de l'histoire n°2) "Derrière le vieillard, Heisenberg distingua une vieille table de billard français, recouverte de piles de livres. Sur le mur de gauche se trouvait une immense carte du monde, où des trajectoires étaient représentées par des fils rouges tendus entre des clous. Sur le mur de droite, des masques de théâtre japonais. Au centre de la pièce, le vestige d'une statue ancienne, dont il ne restait que le pied droit, haut de deux bons mètres. Monsieur Sheep attrapa Heisenberg par le coude et le tira à l'intérieur, puis regarda furtivement dehors, comme pour s'assurer qu'il n'avait pas été suivi. Rassuré, il claqua la porte et la ferma de deux tours de clef. Il indiqua au gendarmer retraité un fauteuil, enfoui sous des livres et des magazines, que, d'un pas vif, il s'empressa de déplacer pour faire place nette à son invité. Heisenberg s'assit." (David M.).


(Suite de l'histoire n°3) "Le message précédent avait mis les premières syllabes en majuscules. En prenant les premières syllabes de ce message, on obtient : Moussart, Chablis. Reinette et moi (et trois autres amis) avions loué, il y a cinq ans, une maison tout près de ce village. Je garde un souvenir particulièrement heureux de ces vacances : nos courses pieds nus dans la neige, le petit feu d'artifice que nous avions improvisé avec des pétards, la pièce de théâtre que Reinette et Jean avaient écrite et jouée pour nous. Je n'ai plus de temps à perdre. Je ferme mes valises, je rends ma clé à la réception. Devant l'hôtel, un de ces taxis verts et orange de la compagnie 777 semble n'être là que pour moi. Je m'y installe et m'écrie : "To the airport !" Le chauffeur est haïtien, et quand il entend mon accent il répond, tout heureux de parler français : "Nous allons filer comme une flèche, monsieur !"" (FG).


(Suite de l'histoire n°4) "Cette nuit-là, il avait emmené son fils dans le labyrinthe des bureaux. Il lui avait dit : « on met la clé sous la porte », en lui montrant une clé assortie d’une étiquette jaune. Mais il ne l’avait pas fait ; il avait juste fait un petit tour de passe-passe, montrant la clé puis l’escamotant dans sa poche ; pourtant, Jean-Jesus eût bien aimé jouer avec son père à passer la clé sous la porte.
Puis, le Père avait gribouillé six noms de pays : Thaïlande, Laos, Inde, Brésil, Venezuela et Uruguay. « Jette le dé pour moi », avait-il dit à son petit Jiji, et il était parti, loin, à l’autre bout du monde. Quand elle parlait de ce départ, sa mère disait les mots « blessure », « empreinte profonde ».
Plus tard, il avait reçu un courrier secret : une photo de son père sous les palmiers avec une métisse d’à peine vingt ans. Il avait lu au dos : « …grand maintenant… tu peux comprendre…démêlés avec la justice… mais regarde… pour le mieux… jolie uruguayenne… prends soin de ta mère… »" (Louis Butin).

(Suite de l'histoire n°5) "Kagi-san !"
Etsuko lève les yeux, des deux petits chiens au regard d'obsidienne au visage de la femme, exagérément maquillé.
"Anna Park. Vous ne vous souvenez pas ?
— Mais bien sûr, ment Etsuko.
— Je sors les petites", annonce Mme Park.
Les pattes maigres des chiennes tremblent. Elles portent toutes deux un manteau de laine verte. Sur l'un, en boutons rouges, on lit Buffa et sur l'autre, en noir, Seria. Mais oui. Etsuko hoche la tête, pensive. Cette Mme Park, elle l'a croisée dans l'avion qui l'emmenait loin de…
"Mais c'est donc que vous chantez à Tokyo ?" demande-t-elle, poliment.
Mme Park est cantatrice. De Londres à Tokyo, elle a eu le temps de raconter à Etsuko l'essentiel de sa carrière, revue et corrigée, sans doute.
"La semaine prochaine, chère enfant. Du contemporain, s'il vous plaît. Une création mondiale. Je vous en avais parlé ?"
Etsuko se souvient vaguement d'un opéra sur Guantanamo, avec chœur des esprits indigènes, Che Guevara en Sedgway et puissances supérieures du monde se vantant de leurs turpitudes respectives.
"Je chante le rôle de la justice. Non seulement elle est aveugle, mais elle est également sourde et muette. Il a fallu que j'apprenne à chanter comme les sourds-muets apprennent à parler. C'est étrange. Je suis vêtue d'une burqa noire et je porte un dé géant sur le dos, comme ce petit personnage de la Tentation de Saint Antoine. Vous savez ?"
Non, Etsuko ne sait pas. Elle invite la femme à prendre un verre de vin de prune au Cabaret de l'amour qui, la nuit tombant, ne va pas tarder à ouvrir ses portes. " (Dragon Ash).