lundi 26 mars 2012

TEAM ONE - Episode 13

[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]



(1) "Puis il vit son cousin David s’approcher. Son regard était clair : il était temps pour Salomon de quitter le manoir pour retourner dans son triste immeuble gris. Cendrillon des temps modernes, il se résigna à aller se coucher. Il n’avait même pas de carte de visite à laisser à la jeune femme ! Non, vraiment, il n’était bon à rien. Il se sentait misérable, petit cloporte sans importance, poisson aux yeux vitreux, qui garderait pour toujours, verrouillée dans son cœur, la question qu’il brûlait de poser : « Mais qui êtes-vous ? »" (Alice Bé).

(2) "Heinseberg regarda à nouveau l’escalier qui descendait et dont les nombreuses marches disparaissaient dans les ténèbres. Derrière lui, un poisson troubla la surface de l’eau, le faisant sursauter. Il jeta un coup d’oeil au majordome, qui ne faisait pas mine de vouloir l’accompagner. Il soupira et coupa son portable avant de commencer la descente. Sur les parois de cette galerie se succédaient des portraits plus horribles les uns que les autres, montrant sans doute les ancêtres de Monsieur Sheep, tous liés par les mêmes traits remarquables, qu’Heiseberg nota en son for intérieur: yeux globuleux, dents pointues, cheveux rares. Il parvint à une porte ancienne qu’il tenta sans succès d’ouvrir. Il frappa et eut pour réponse un “Qui est-ce?”, prononcé par la voix qu’il avait déjà entendue." (David M.).



(3) "Argus ! C'est donc Argus ! Le réalisateur d'"Un poisson dans l'eau" ; de ce film dont j'ai oublié le titre, et dans lequel deux potes grimpent au sommet de la tour Montparnasse par les escaliers ; de "Papiers d'identité" ; tous ces films mortellement ennuyeux et immensément populaires. Argus ! Cet homme prétentieux, arrogant ! Ce scarabée à la carapace d'or ! Mais que peut bien voir Reinette en lui ? Pourquoi s'intéresse-t-elle à lui ?
Alors, soudain, je me souviens que je n'étais pas venu aux États-Unis pour y trouver Argus, mais dans l'espoir d'y voir Reinette. Serait-elle ici, à Los Angeles ? J'entends mon téléphone qui sonne – un autre texto." (FG).



(4) " D’autres souvenirs s’enchaînèrent, concaténation d’instants, d’images subreptices, de sons fantômes et d’impressions qui sommeillaient en lui, soudain éveillés par l’appel : « maman » ?
Qui es-tu Jean-Jesus ?
Un épisode se superposait à sa déambulation nocturne, une vision translucide, vacillante : il était dans les bureaux de la société de son père, la lumière était éteinte ; l’aquarium du lobby et les panneaux lumineux des sorties de secours offraient au regard un décor maussade, inquiétant ; quelque part son père l’appelait et il ne parvenait pas à sortir du labyrinthe des bureaux ; jamais il ne le reverrait.

" (Louis Butin).



(5) "Il eut honte, après coup, de n'avoir su lui dire qu'il voulait, dans la nuit que ne peuplaient que machines, bêtes endormies et spectres muets, ouvrir son cœur à un être humain. Bah.
***
"Ai no Kabaretto, j'écoute.
— Katsu ? C'est Jo. Vous avez de la place ce soir ? On passerait bien à trois.
— Non, ce n'est pas Katsu. Oui, on a de la place. Enfin, pour le moment. Jo comment ?
— Tu verras. On s'connaît, j'suis sûr. J'aurai mon tee-shirt Love the Shoggoth. Vous avez des beignets de poulpe ? Et de la bonite séchée ?
— Comme d'habitude. À tout à l'heure, Jo, alors."
Kagi Etsuko, cigarette au coin des lèvres, sort dans la ruelle, une bouteille de bière à la main, le portable glissé dans la poche de son tablier noir ; s'adosse à la porte de bois peint du plus petit bar de tout Golden Gai, Ai no Kabaretto, Le cabaret de l'amour. Sa sœur — légitime propriétaire de l'établissement — a coutume de dire qu'on n'y logerait pas trois chats. Dans une heure, les néons du grand magasin Aokai, tout proche, se mettront à clignoter : blanc bleu violet bleu blanc violet vert vert vert blanc bleu violet etc. C'est l'ordre. Les trois chats se battront pour entrer. Kei-chan et Etsuko se marcheront sur les pieds derrière le comptoir. Les murs trembleront sous l'effet de la musique et des conversations braillées. Katsu arrivera avec vingt minutes de retard : "Etsu-chan, Kei-chan, désolé ! J'avais perdu mon passe." (Dragon Ash).